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EXILÉ DU TEMPS, PRISONNIER DE L'ESPACE Le narrateur joue avec le lecteur, en évoquant plusieurs fois explicitement la détemporalisation de Robinson: «Il négligeait de tenir le compte des jours qui passaient. Il apprendrait bien de la bouche de ses sauveteurs combien de temps s'était écoulé depuis le naufrage de la Virginie. Ainsi ne sut-il jamais précisément au bout de combien de jours, de semaines ou de mois, son inactivité et sa surveillance passive de l'horizon commencèrent à lui peser. » (p. 22) Ou un autre passage, quelques pages plus loin: «Il convient d’ajouter qu'ayant négligé de tenir un calendrier depuis le naufrage, il n'avait qu'une idée vague du temps qui s’écoulait. Les jours se superposaient, tous pareils, dans sa mémoire, et il avait le sentiment de recommencer chaque matin la journée de la veille. » (27) Du point de vue textuel, aucune reprise, aucune référence ne crée de lien entre les deux passages cités: le narrateur pourrait, dans le deuxième passage cité, faire allusion au fait que cette constatation a déjà été faite mais il n’en est rien. La narration présente les mêmes caractéristiques que les événements qui arrivent à Robinson, c’est-à-dire l’absence des liens. Le résultat est que le lecteur a également l'impression d’être détaché du temps. « Cette idée vague du temps », ce détachement fait d'autant plus d'effet qu’il est accompagné d’une position spatiale particulière. Robinson se trouve au milieu de nulle part, dans un univers spatial qui est réduit, certes, mais en même temps doté de limites bien définies. Contrairement à l’espace, le temps n’a aucune limite. A la vue du chien qui ne le reconnaît pas, il se pose la question suivante : «Combien de jours, de semaines, de mois, d'années s'étaient-ils écoulés depuis le naufrage de la Virginie!” ?» A ce point du récit, le lecteur n’en sait plus rien non plus. Conclusion Le flux temporel, dans ces premiers chapitres du roman, est absent : le temps, au lieu de passer en continu, se décompose en moments non reliés, exprimés au PS, tout comme les événements successifs qui construisent la chronologie. Cette décomposition du flux temporel en des moments isolés se réalise par l'absence des anaphores, par l'alternance des indicateurs de temps absolus et relatifs et 7 M. Tournier, op. cit., p. 32. + 217 +