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GIONO CONTEMPLATEUR DU CIEL: DU SERPENT D’ETOILES AU GRAND THEATRE leur tête. Les étoiles révèlent une multitude de passés à l’homme enfermé dans son présent: «Nous assistons ce soir à un spectacle - très ordinaire comme tu vois - dont les acteurs sont peut-être morts depuis des milliards d'années et qui, s’ils ne sont pas morts, sont, de toute certitude, en train de jouer aujourd’hui une scène qui ne pourra tomber sous les sens des hommes que dans des milliards d’années. [...] la lumière que nous percevons aujourd’hui à la fois est faite de milliards de lumières émises par ces objets à des milliards de moments differents de ce passe”. » Pour exprimer le présent de ce passé « composé », l’homme devrait pouvoir conjuguer les chiffres. Notre incapacité de mesurer cette étendue de temps nous empêche de vivre l’Apocalypse à une échelle planétaire: « Peut-être que, pendant que nous parlons ici, bien tranquilles, tout cet univers est-il aux prises avec l’Apocalypse de notre ami Jean, fils de Zébédée; et, dans ce cas, nous continuons à être bien paisibles, car c’est seulement dans des milliards d'années qu'on s’en apercevra?!. » Le père explique à son fils que l’Apocalypse ne se produit pas seulement à l'échelle de l'univers, mais peut aussi advenir à l’intérieur d’un petit corps chetif comme le nôtre. Pour donner un exemple, il décrit longuement le cas d’un de leurs parents, l'oncle Eugène, qui a perdu l’ouïe et risque de perdre également la vue. Les passages énumérant les tourments réels et imaginaires de l'oncle Eugène, sont empreints d’un humour parfois cruel, mais aussi d’un amour profond pour la vie. La souffrance fait partie de l’existence humaine, mais confrontés à notre propre Apocalypse, nous finissons par découvrir en nous-mêmes des richesses inconnues. Les réflexions sur la grandeur et la petitesse de l’homme sont porteurs d’échos pascaliens, mais n’aboutissent pas à une conclusion pessimiste. Tant que nous sommes sur la terre, nous sommes à la fois acteurs et spectateurs du «grand théâtre ». Nous assistons à l'immense spectacle du monde auquel nous sommes conviés. Il faut que nous soyons capables de mesurer la beauté et l'importance de ce geste: l'invitation, car « c’est ce que nous avons de plus précieux », dit le père.?? Tant que la mort n’est pas supprimée (et il faut vraiment se méfier de ceux qui aspirent à cela — prévient-il son fils), «l'espérance et le bonheur sont des sécrétions personnelles.» Au fur et à mesure que notre existence se rétrécit, une multitude de mondes peuvent s'ouvrir devant nous, à condition de répondre à l'invitation de la nuit et du silence. 2 Jean Giono, Le grand théâtre. Éd. cit., p. 259. 2° Jbidem, p. 267. 2 Jbidem, p. 249. 23 Jbidem, p. 255.