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GIONO CONTEMPLATEUR DU CIEL: DU SERPENT D’ETOILES AU GRAND THEATRE La deuxième partie du texte reproduit le jeu dramatique traditionnel représenté tous les ans à la nuit de la Saint-Jean. Le narrateur prétend donner une traduction qu’il aurait préparée à partir de ses notes. Le jeu en question est une improvisation jouée par les bergers et dirigée par l’un des leurs, un Sarde. La nécessité de la traduction est expliquée par le fait que les personnages du drame parlent plusieurs langues ou dialectes différents : « La langue est l'espèce la plus sauvage des jargons de mer, faite de provençal, de génois, de corse, de sarde, de niçois, de vieux français, de piémontais et de mots inventés sur place pour le besoin immédiat!?. » Le drame joué par ces «hommes libres » qui se comprennent entre eux, évoque un état d’« avant Babel », et toute tentative de traduction restera forcément défaillante. La narration est parsemée de fragments mythiques : la silhouette d’Orphée s’esquisse a plusieurs reprises dans le texte. Par ailleurs, le titre de l’œuvre implique déjà tout un réseau de connotations symboliques et mythologiques. Deux d’entre elles nous semblent particulièrement significatives. Le serpent relié aux étoiles souligne le rapport organique entre la terre et le ciel. Sous sa forme d’ouroboros (le serpent qui se mord la queue), il rappelle l'éternel recommencement, le mouvement circulaire de la terre et des astres. L'ensemble de la pastorale met en scène une nouvelle version de la Genèse. Le spectateur stupéfait est comme subjugué par la force des elements qui s’animent devant lui. «[...] apparaissent soudain : des processions de planètes, le balancement de la mer, la course mouillée de la terre qui perd ses océans dans l’espacel{. » Le meneur du jeu incarne la Terre, et appelle les divers éléments à se manifester. La Mer, la Montagne, le Fleuve, l’Arbre, le Vent, l’Herbe, la Pluie, le Froid et la Bête prennent la parole, l’un après l’autre, avant l'apparition de l'Homme. La Terre s'inquiète de l'Homme qui risque de vouloir régner sur l’univers. La pièce se termine par un bel acte de foi pendant lequel le Sarde, redevenu homme, berger et chef des bêtes, embrasse la terre de ses bras écartés. Si le Serpent d'étoiles présente une nouvelle version de la Genèse, Le grand théâtre nous propose une réinterprétation de l’Apocalypse. Ici, c’est un homme vieillissant - le père du narrateur - qui explique à son fils de dix ans les secrets de l'univers. Tous les deux s'appellent Jean. Le père, cordonnier de son état, est un grand liseur. Descendant d’une famille d’anarchistes, il fréquente la Bible pour son plaisir, et s'intéresse surtout à L'Apocalypse de saint Jean. C'est son livre de Jean-Giono-par-Christian-Lippinois, consulté le 17 février 2014. 2 Le Serpent détoiles. Ed. cit., p. 118. 1 Selon Claudine Chonez, les serpents « nés au plus creux du monde » ont une place de choix dans le bestiaire de Giono. V. Id., Giono. Paris, Seuil, « Écrivains de toujours », 1973, p. 48. 4 Le Serpent détoiles. Ed. cit., p. 118. + 189 *