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SOURCES DE LA CONTEMPLATION CHEZ THOMAS MERTON Les deux titres, quelque peu obscurs de prime abord, renvoient a deux sources différentes parmi les lectures ayant exercé une influence déterminante sur l'évolution spirituelle de Merton: la version française (La Nuit privée d'étoiles) rappelle la nuit obscure que doit traverser l’esprit sur le chemin vers Dieu, dans les écrits de saint Jean de la Croix, tandis que le titre original fait référence aux sept cercles du purgatoire dantesque’. Même si le nom de Dante et la Divine Comédie ne reviennent pas systématiquement sous la plume de Merton, comme c'est le cas pour saint Jean de la Croix, l’auteur considère cette rencontre avec «la synthèse poétique de la philosophie et de la théologie scolastiques®, » qu’est à ses yeux la Comédie, comme une grâce divine: même si aucune des idées religieuses représentées dans la Comédie ne s’enracinent vraiment dans sa pensée, Merton commence à tolérer les dogmes abordés dans la mesure où cela était indispensable pour la compréhension du poème. Au moment d'évoquer ses souvenirs dans les pages de son autobiographie, il considère déjà cette rencontre avec Dante comme la plus grande grâce de tout ce qu’il doit à Cambridge’. Notons que l'ouverture vers cet univers tout nouveau se fait grace à cette sensibilité esthétique particulière : si le jeune Merton prête l'oreille à ce que ce «vieux Florentin » lui dit, c’est seulement à cause du génie poétique de celui-cif. Deux passages du roman viennent confirmer le lien entre le rôle de l’art et une attitude particulière que Merton caractérise dès lors comme mystique ou contemplative : «dès mon enfance, j'avais compris que l'expérience artistique, à son point culminant, était d’une analogie naturelle avec l'expérience mystique. Elle déclenchait une sorte de perception intuitive de la réalité à travers une identification affective avec l’objet contemplé’. » Plus tard, à propos de son père, il ajoute encore que celui-ci lui avait appris de ne jamais réduire la fonction de l’art, avec une simplification qui serait alors blasphématoire, à la volonté de susciter des sensations agréables quelconques, mais de le considérer comme la synthèse suprême des facultés humaines, qui doit être observée dans un acte 5 Pour le rôle de Dante dans le parcours de Merton v. ibidem, p. 157-158. 6 V. ibidem, p. 158. 7 Ibidem : « [...] although not one of his [Dante] ideas took firm root in my mind, [...] there remained in me a kind of armed neutrality in the presence of all these dogmas, which I tended to tolerate in a vague and general way, in bulk, so far as that was necessary to an understanding of the poem. This, as I see it, was also a kind of grace: the greatest grace in the positive order that I got out of Cambridge. » ® Ibidem, p. 157: « Because of his genius, I was ready to accept all what he said about such things as Purgatory and Hell at least provisionally, as long as I had the book under my eyes [...] » ° Ibidem, p. 242: «[...] from my very childhood, I had understood that the artistic experience, at its highest, was actually a natural analogue of mystical experience. It produced a kind of intuitive perception of reality through a sort of affective identification with the object contemplated — the kind of perception that the Thomists call “connatural” » + 177 +