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DE L'INFINI DU VISAGE À L'INFINI DU LANGAGE -— SUR L'ŒUVRE D'EMMANUEL LÉVINAS en quelque sorte dans le contexte qu'elle était censée neutraliser, c’est-à-dire qu'elle s'inscrit dans ce tissu des signes qu’elle a, en apparence, dépourvu de ses possibilités d'interprétation, mais au moment où elle s’y inscrit, elle continue, paradoxalement, d’en générer des interprétations. En réalité, c’est cette logique qui offre et montre le chemin menant au-delà de l’être et vers la dimension de l’« autrement qu'être » qui, chez Lévinas, n’est autre qu’une des dimensions réflexionnelles de l'infini. Totalité et infini démontre que la tendance à l'appropriation de la philosophie occidentale n’a jamais cherché à déterminer l'infini que dans son concept notionnel. En s’opposant au fait que le discours philosophique n’a été et n’est toujours capable de rendre compte de l'infini qu'au prix de l’effacement ou la suppression de ce dernier, cet écrit souligne le vide, le caractère simplement formel de l’infini qui se voit encore mieux consolidé dans les textes ultérieurs tranchant la question de la trace. Suite à l'évocation du discours philosophique, il nous paraît également évident que face à l'expérience de l’Autre, c’est notre langage bâti sur le logos qui se met radicalement en question, même si Lévinas lui-même ne peut éviter de formuler ce jugement, comme Derrida l’articule aussi dans sa critique célèbre, dans le langage même du logos. Afin d’essayer d’esquiver cette proposition autocontradictoire, dans Autrement qu'être ou Au-delà de l'essence, Lévinas emprunte un chemin fort spéculatif lors de l'élaboration de sa philosophie de la morale. Il affirme que c'est à l’aide du Dire — qui est, quoique non pas dans son acception objectivante traditionnelle, tout de même saisissable par l'intermédiaire de la trace — que l’on peut parler de l’altérité en évitant le langage ontologique. Or, à travers nos énonciations linguistiques de l’ordre du Dit, la source de sens qui les rend possibles, à savoir le Dire se révèle dans un certain sens. Le Dit conserve la trace du Dire". Mais en prenant en considération que la trace, comme nous l’avons déjà plusieurs fois souligné, n’est pas l'empreinte d’une présence passée mais suggère quelque chose qui n’a jamais été présent, et qu’elle est, d'autre part, le résultat de l'effacement des traces, il n’est pas surprenant que Lévinas percoive en elle une source de sens toute nouvelle dont, jusqu'ici, la réflexion philosophique ne s’est point souciée. Pourtant, le devoir de la philosophie ne serait-il rien d'autre que de toucher à l’Indicible, c’est-à-dire aux traces du Dire dans le Dit. Car la philosophie est une sorte d’« indiscrétion a l’egard de Vindicible'®. » Cette indiscrétion ne peut porter ses fruits qu’au cas où il nous est permis de supposer que l'émergence du Dire dans le Dit ne se synthétise pas dans un instant simultané du présent, qu’il existe une sorte de mouvement diachronique 17 Lévinas, Autrement qu'être ou Au-delà de l'essence. Op. cit., p. 27, 128. 18 Jbidem, 19. + 163 +