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DE L'INFINI DU VISAGE À L'INFINI DU LANGAGE -— SUR L'ŒUVRE D'EMMANUEL LÉVINAS nécessairement son origine de l'extérieur. Jusque-là, l'infini correspondait au visage de l'Autre dans la philosophie de Lévinas, et le langage se définissait dans la transcendance de l'Autre; autrement dit: la relation langagière supposait l'existence de la transcendance. L'essentiel du «tournant langagier » de Lévinas réside dans le fait que le rapport entre le Moi et l’Autre n'est plus conçu comme un rapport entre deux êtres existants, il est plutôt représenté comme une corrélation de sens, ce qui est le propre du Dire. Que l'infini se transmette du visage au Dire et à la trace, a pour conséquence que c’est Le langage lui-même qui porte en soi la transcendance, et l’altérité de l’Autre ne se représente plus par le langage, mais elle surgit comme langage. Le langage n’est plus un contexte neutre ne faisant que refleter l’alterite de l’Autre, perceptible, comme le dit Lévinas dans les pages de Totalite et infini, dans sa réalité corporelle sur le visage — mais Valtérité elle-méme s’avére inseparable du langage. En même temps — et c’est ce qui est crucial de notre point de vue actuel — tandis que la notion de I’infini, telle qu'elle apparaît dans cette philosophie procédant par l’alliage organique de l'altérité et du langage, exécute évidemment une modification par le tournant langagier, par son essence, elle ne se détourne tout de même pas de la structure cartésienne de l'infini qu’elle réussit plutôt à approfondir dans sa relation avec le langage et doter de nouvelles significations. Afin de pouvoir mieux nuancer le concept de l'infini de l'éthique lévinassienne dans ses rapports avec l’idée cartésienne, il nous semble approprié d'interroger la notion que Lévinas, en établissant un lien entre le temps et la dimension langagière, choisit d'élargir et de développer en vue de pouvoir mieux aborder la question de la pratique du langage témoignant de l’altérité mais indépendant de l’ontologie. Examinons donc brièvement les transformations de la notion de la trace du point de vue de l'infini. En introduisant la notion de la trace, devenue depuis célèbre, Lévinas tente déjà dans les écrits préparatifs d'Autrement qu'être ou Au-delà de l'essence d'établir un rapport entre le décalage originel du visage et le passé immémorial de l'infini: contrairement à ce que nous voyons dans Totalité et infini. Dans ces textes, l'infini n'apparaît plus dans la présence de l’épiphanie du visage de l'Autre, mais c'est le visage qui se manifeste dans la trace du passé immémorial de la nonreprésentation de l’infini. Dans son écrit datant de 1963, La signification et le sens, le philosophe pousse la question encore plus loin quand il relie, en parlant du Visage et de l'Autre, la problématique de la sensualité et de l'infini avec celle de la trace, afin de mettre en valeur l’enchevêtrement essentiel des approches phénoménologique et métaphysico-éthique à l’intérieur de la structure de la trace elle-même. «159 »