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ÉTERNITÉ ET INFINI - LA CONTEMPLATION CHEZ CHATEAUBRIAND Dans son argumentation, l’auteur renonce à une dialectique descendante qui ne prouve rien, puisqu'elle présuppose ce qui est en question. Il progresse au contraire au sein d’une dialectique ascendante puisqu'elle part de ce qui tombe d'une manière évidente sous le sens. Sa réflexion n’approche point de Dieu par les voies de la raison pure ni par l'effet d’une lumière surnaturelle, mais elle suit les voies de l'expérience. C’est une sorte de théologie empirique héritée de Bernard Nieuwentyt (1654-1718), mathématicien et médecin hollandais qui influença profondément la philosophie de la nature de Chateaubriand, ce dernier se référant à lui explicitement dans le Génie. «Le docteur Nieuwentyt, dans son Traité de l'existence de Dieu”, s'est attaché à démontrer la réalité des causes finales. Sans le suivre dans toutes ses observations, nous nous contenterons d’en rapporter quelques-unes. *Dans tout ce que nous citons ici du Traité de Nieuwentyt, nous avons pris la liberté de refondre et d'animer un peu son sujet. Le docteur est savant, sage, judicieux, mais sec. Nous avons aussi mêlé quelques observations aux siennes. (Note de Chateaubriand‘.) » Ce passage prouve comment le traité classique, scientifique et « sec » du savant hollandais se transforme en traité poétique sous la plume de Chateaubriand qui ne part pas de Dieu, et ne prétend pas l’atteindre non plus mais montre plutôt en quoi il est souhaitable et présent en creux dans l'expérience de chacun. Il ne veut pas convaincre mais séduire son lecteur, lui faire découvrir Dieu dans chacun de ses sentiments, dans chacun de ses rapports avec les autres et avec le monde. Sa méthode phénoménologique est proche de celle de Descartes mais se développe dans une direction opposée; Chateaubriand aussi part du rien mais son lecteur, même s’il n’est pas chrétien, dans son for intérieur, au-delà de sa conscience claire, voudrait bien l’être. « Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité [...] hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas [...]. Une langueur secrète s’insinue au fond de mon cœur, je le sens vide et gonflé [...]. Ne trouvant donc rien ici-bas qui lui suffise, mon âme avide cherche ailleurs de quoi la remplir ; en s’élevant à la source des sentiments et de l’Être, elle y perd sa sécheresse et sa langueur : elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie". s * Ibidem, I, V, II, pp. 560-561. 5 Rousseau, La Nouvelle Héloise, V1° partie, lettre VIII. Chateaubriand la cite dans le Génie (op. cit.) dans la II° partie, livre III, chapitre IV, p. 695. .097 +