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OLIVIER SCHEFER Les arts libres et non imitatifs du romantisme, reconnait Novalis, sont par excellence la poésie et la musique. Le « musicien, note Novalis, tire entiérement de lui-même l’essence de son art — Il ne peut étre le moins du monde suspecté d’imitation®. » Pour Novalis, la création est un acte d’imagination poétique intégrale, qu’il qualifie parfois d’idéalisme magique mais aussi de poésie de l’infini (la poésie renvoyant toujours a la force créatrice et imaginative du poien)’. Sans doute, cette poétique de l’infini rejoint aussi chez lui la question mystique, dont elle se nourrit. Novalis développe (Hegel lui en a fait le reproche dans sa Phénoménologie de l’Esprit) une religion du cœur absolu, qu’il qualifie d’« organe religieux », un organe, un médium qui reçoit et engendre le divin. À la faveur d’un curieux mélange de christianisme, de piétisme surtout, et de paganisme, Novalis imagine une religion subjective se caractérisant par une opération de consubstantiation intérieure, si l’on peut dire. Le Dieu révélé est engendré par le «cœur productif », comme il l'écrit. Il devient la « matière infinie de notre activité et de notre souffrance. » Par ailleurs, mais tous les fils se croisent chez lui, la religion intérieure rejoint l’espace interne et illimité du rêve. Novalis recherche souvent dans les formes du rêve, comme d’autres romantiques l’ont fait (Schubert par exemple dans sa Symbolique du rêve en 1804), le langage le plus adéquat aux vérités obscures et profondes. Comme si, en rêvant, l’homme accédait à l'essence du moi et de la Nature. Ainsi, dans ses Hymnes à la Nuit, poème du deuil et de sa transfiguration poétique et religieuse, Novalis évoque significativement dans l'hymne premier, «les yeux infinis que la Nuit a ouverts en nous ». Mais si l'utopie du romantiser novalissienne implique le dépassement des cadres et des frontières finies, elle n’est pas concevable sans un mouvement inverse d'inscription de l'infini dans le monde fini, sans un effort d’incarnation de l'infini dans la nature et comme force naturelle. C’est pourquoi l'infini seul reste un mot vide, aussi splendides en soient la lueur et l'éclat. L’infini et l’informe Linfini tel que Novalis parait l’avoir exalte est donc en möme temps l’expression d’une vive inquiétude, voire d’une angoisse, aussi bien existentielle que théorique, 6 Ibidem, p. 172. 7 Sur ces deux notions, v. mes ouvrages, Poésie de l'infini. Novalis et la question esthétique, Bruxelles, La Lettre volée, 2001, et Novalis, Paris, Le Félin, coll. « Les marches du temps », 2011. 8 Novalis, Art et Utopie. 1798-1800, édition établie par Olivier Schefer, Paris, Ecole Normale Supérieure, coll. « Aesthetica », 2005, p. 56. + 90 +