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NOVALIS, THÉORIE ET PRATIQUE DE L'INFINI va-t-il de la peinture de paysage de Caspar David Friedrich, qui élargit les limites de la perspective centrée, en dilatant parfois l’image sur le modèle du panorama ou encore de la musique symphonique et orchestrale qui ignore les limites imposées par la matière tridimensionnelle mais aussi par une histoire à illustrer musicalement. E. T. A. Hoffmann note dans ses Kreisleriana au sujet de l'œuvre de Beethoven: «C’est le plus romantique de tous les arts, on pourrait presque dire le seul art véritablement romantique ; car l’infini seul est son objet. La lyre d’Orphée a ouvert les portes de l’Orcus. La musique ouvre à l’homme un royaume inconnu, tout à fait différent du monde sensible qui l'entoure; en quittant celui-ci, il se défait de tout sentiment défini, pour s’abandonner à une aspiration ineffable’. » Poésie de l’infini Ainsi, selon Novalis, le fini — le monde réel — est avant tout une contrainte, une limite à dépasser. Et la question de l’infini s’éclaire par contraste avec ce déni de réalité. L’insatisfaction du romantisme devant le monde est un motif bien connu de cette période : les réponses apportées à cette impatience ressentie face au principe de réalité diffèrent selon les auteurs. « Nous cherchons partout l’inconditionné et nous ne trouvons jamais que des choses [Dinge] », dit le premier fragment du recueil Pollen de Novalis®. Linconditionné, terme repris à Kant, désignant ce qui se tient au-delà de toute condition et détermination réelle, est donc une modalité majeure de l'infini romantique qui, pour le coup, excède le stade du sentiment de frustration ou de manque. L'importance considérable accordée à l’art et à la poésie s’éclaire donc à la lumière de cette quête romantique d’absolu que le réel donné ne suffit pas à circonscrire ni à contenir, comme un trop plein débordant de toute part. C’est pourquoi, s'inspirant en partie de la these kantienne de la Critique de la faculté de juger sur la libre génialité de l’artiste, le romantisme rejette le concept d'imitation de la nature. L'imitation, par définition, présuppose une dépendance, un assujettissement à l'égard du monde et du modèle. Elle est donc doublement contraire à la force libératrice et transgressive de l’infini qui puise dans les tréfonds de la psyché humaine (le Tiefsinn) et non dans des formes externes. * Cité dans La Forme poétique du monde. Op. cit., p. 569-570. 5 Novalis, Pollen, in Semences, op. cit., p. 70. +89 +