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KATALIN Kovács Vimage » fait partie de l’esthétique baroque, déterminée par le sentiment de la vanité. Le miroir laisse voir l’état transitoire et fragile des choses: c’est ce sentiment d'incertitude qui rayonne des Madeleine au miroir de La Tour. Par la perspective qui s'ouvre au-delà du miroir, celui-ci permet au spectateur de percevoir un rapport à l'infini. L'infini peut en effet s'ouvrir à partir d’un rien, d’un motif (apparemment anodin) reflété par le miroir. Dans les deux tableaux analysés de La Tour, le reflet de l’image du crâne et de la flamme se charge d’une signification spirituelle, et c’est en ce sens que ces toiles suggèrent au spectateur le sentiment de la contemplation de l'infini. Quant aux tableaux nocturnes de La Tour en général, l’effet du miroir y est inséparable de la technique de l’éclairage. Cette technique concerne également les « nuits » au sujet laic, comme La Femme a la puce, qui met en scéne un épisode entiérement profane de la vie quotidienne: une femme qui s’épuce avant de se coucher [V. Illustration n° 3]. Les profils de la femme à la puce et de la Madeleine au miroir de La Tour montrent une étrange ressemblance. La femme robuste, qui tient entre ses doigts crispés la puce attrapée, serait-elle la profanation, le «revers » grotesque des Madeleine spirituelles ? Il s’agit là probablement plutôt du fait que lors de la peinture des sujets religieux et profanes, La Tour recourait au même profil-type et aussi qu’il était préoccupé par la même question technique : le problème de l'éclairage nocturne. C’est grâce à cet éclairage que la scène profane se métamorphose, se voit doté d’un sens universel (celui de la vanité) et rejoint le thème des Madeleine. Comme celles-ci, la femme à la puce s’absorbe dans l’action qu’elle exécute. Bien qu’elle baisse la tête plus bas que la Madeleine au miroir, leurs profils se ressemblent et, à la place des ongles qui écrasent la puce, on pourrait facilement imaginer une main reposant sur un crâne. Il nous semble alors que c’est la « manière nocturne » qui rapproche les « nuits » au sujet laïc de La Tour de ses tableaux religieux. La fascination qu'exercent les toiles nocturnes de La Tour provient, en plus de l'effet de l'éclairage, de l’intense concentration de figures aux mouvements atemporels, qui paraissent oublier le reste du monde. Cependant, alors que les yeux de la femme à la puce se fixent sur quelque chose (sur la puce, bien visible, qu'elle vient d’écraser), ses Madeleine ne regardent apparemment rien de concret. En dépit de leur regard absorbé, elles ne contemplent pas le néant mais regardent ailleurs, au-delà du miroir et du monde d’ici-bas. Leur regard exprime une sorte d’introspection: il se dirige vers ce qui est invisible, vers ce qui est le plus profondément humain. Il est significatif à ce propos que dans la Madeleine à la veilleuse, la médiation du miroir disparaît désormais au profit de l’œil qui fait miroir et révèle la transcendance. + 84 +