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KATALIN Kovács peut pas étre désigné par des notions claires et des mots exacts. La Tour peint en quelque sorte ce qui est transcendant et se trouve au-dela du monde physique des apparences. L'effet des tableaux de La Tour ressemble alors, pour emprunter les termes de Martin Heidegger, à une sorte de «rayonnement sensible », par le «ravissement irrésistible duquel quelque chose de supranaturel parvient à transparaitre’. » Lemploi du terme « rayonnement » — renvoyant au supranaturel ou au surnaturel — en rapport avec les nocturnes de La Tour n’est pas un pur hasard: leur spectateur perçoit spontanément ce rayonnement, sans pouvoir l’expliquer. Dans le contexte spirituel et artistique de la premiére moitié du 17° siécle en France, la notion de rayonnement évoque celle de grace. Si originairement, la grâce est une notion à connotation théologique (la Grâce divine), à partir de la deuxième moitié du siècle, cette connotation se voit progressivement estompée et la grâce devient une notion laïcisée, tout en gardant la composante de spiritualité et le caractère d’inexplicable. Un bref détour vers les écrits sur la peinture de l’époque classique nous aidera à contextualiser les termes qui ont rapport à l'esthétique de la grace. La notion de grâce tient en effet une place essentielle lors des débats sur les catégories artistiques dans le discours sur l’art français du 17° siècle. Dans son Premier Entretien, le théoricien de l’art André Félibien confronte les notions de beauté et de grâce". Alors que la beauté est liée aux proportions mesurables et à la symétrie « qui se rencontre entre les parties corporelles et matérielles », la grâce quant à elle « s'engendre de l’uniformité des mouvements intérieurs causés par les affections et les sentiments de l’âme!t. » Pouvoir apercevoir la grâce ne requiert guère un savoir rationnel : la grâce est une catégorie affective qui défie les moyens de connaissance liés au raisonnement logique. Dans son texte, Félibien opère un glissement subtil de la notion de grâce vers le je-ne-sais-quoi, inexprimable et ineffable. Le je-ne-sais-quoi possède également des connotations théologiques (mystiques). Ce n’est pourtant pas seulement une catégorie discursive rattachée à l’indicible, mais aussi une catégorie épistémologique : il renvoie aux limites de la connaissance humaine. Il est peu surprenant de voir que dans son entretien * Martin Heidegger, « D'un entretien de la parole ». Traduit par François Fédier. In Acheminement vers la parole. Paris, Gallimard, 1976, p. 99. 10 Il radicalise ainsi une opposition qui a déjà été esquissée chez les théoriciens de l’art italien du maniérisme, notamment chez Lomazzo et Vasari. 1 André Félibien, Premier Entretien. In Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes (Entretiens I et Il), édition et notes par René Démoris. Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 120. +80 +