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LES « NUITS » DE GEORGES DE LA TOUR: MIROIR, VANITE ET CONTEMPLATION DE L'INFINI Les nocturnes de La Tour et le discours de la grace Le spectateur, dans un premier temps fasciné par les tableaux nocturnes de La Tour, voudrait ensuite comprendre les causes de ce sentiment. Lorsque, aprés la première impression inconsciente et subjective, il passe à la phase consciente de l'interprétation, il recherche des explications du côté du sujet et de l'exécution des «nuits ». L'ambiance des tableaux nocturnes en général est traditionnellement considérée comme particulièrement propice à la contemplation et à la méditation. La peinture de la nuit fascine parce que la nuit privilégie un type de vision qui réarrange les objets dans un nouvel ordre, en les éclairant autrement que la lumière diurne. Du point de vue de l'exécution, l'éclairage nocturne requiert une technique picturale particulière où les couleurs de la flamme sont susceptibles de mettre en place toute une « dramatique visuelle »’. Alors que chez le Caravage et ses successeurs — les peintres appelés tenebrosi —, la lumière est un instrument expérimental pour montrer la réalité, le « ténébrisme » de La Tour est plus mystérieux et à la fois plus spirituel que celui du Caravage. Tout en s’appuyant, dans son œuvre nocturne, sur des motifs caravagesques, La Tour les exécute d’une façon différente du Caravage. Alors que le Caravage a non seulement rendu profanes les personnages des tableaux au sujet religieux, mais le souci du réalisme va de pair chez lui avec une forte gesticulation, La Tour évite le mouvement. Comme le formule André Malraux, « en un temps de frénésie, il ignore le mouvement », et ses personnages offrent un « spectacle de lenteur »*. Dans les tableaux nocturnes de La Tour, les détails riches des peintures diurnes disparaissent, et les formes, les moyens d’expressions se simplifient a l’extréme. Les regards muets, les mouvements ralentis et le jeu presque imperceptible des mains donnent l’impression de l’intemporalité. Ses figures mi-éclairées semblent être sans relief, ce qui est peut-être le plus frappant dans ses représentations de profils. En évitant l’éloquence des gestes, ces tableaux semblent vouloir suggérer au spectateur de se concentrer sur la simplicité des choses essentielles. Dans les toiles de La Tour, il n’y a pas de détails superflus, susceptibles de distraire le regard du spectateur. C’est surtout dans ses « nuits » que l’on trouve beaucoup d'espaces non-peints. Le vide ne signifie pourtant pas chez lui un manque, tout au contraire, il renvoie à la présence très intense de quelque chose qui a rapport à la spiritualité, au recueillement et à la méditation, mais qui ne 7 Baldine Saint Girons, Les Marges de la nuit. Pour une autre histoire de la peinture. Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2006, p. 107. 8 André Malraux, Les Voix du Silence. Paris, La Galerie de la Pléiade NRE, 1951, p. 380. «79 +