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JEAN-JOEL DUHOT retourne la perspective, la perception met le sujet en danger: on sait le pouvoir des images, le traumatisme que peut provoquer la vue de scénes terribles. Par la perception, c’est quelque chose du monde qui entre en nous, et nous ne sommes nulle part à l’abri. Il a fallu la phénoménologie pour redécouvrir ce que savaient les Grecs, et que la philosophie du sujet avait fait oublier, à savoir que le monde nous atteint en permanence parce que nous sommes au monde. Si cette ouverture à l'extérieur, que constitue la perception, nous rend éminemment vulnérables, et nous fait prendre conscience que nous ne sommes pas des forteresses autonomes, elle peut aussi, inversement, nous enrichir en faisant entrer en nous quelque chose de grand ou même de sublime. C’est précisément ce qui se passe dans la contemplation: le sujet vise à s’abolir dans une union avec le grandiose qu’il contemple, même si cette visée n’abolit pas réellement le moi qui contemple. L'ouverture perceptive sert alors à sortir de soi, à s’oublier pour se fondre dans le sublime contemplé, mais cet oubli n’est que celui du petit moi initial, puisque, dans la contemplation, il se perd pour se trouver dans un état d'expansion qui lui donne justement le sentiment de transcender ses limites. La contemplation vise l’extase, l'expansion au-delà des limites de la personne, du sujet concret. En ce sens, dans la contemplation, on expérimente un dépassement de sa finitude. Le sentiment d’infini, qui s'associe si naturellement à la contemplation, n'implique donc pas nécessairement l'existence d’un infini, il résulte du fait que cet usage extrême de la perception, qu'est la contemplation, nous faisant sortir de nous-même, nous met dans un état de nonfinitude, d'expansion d’être, qui nous donne le sentiment de l'infini parce que nous avons l'impression de ne plus avoir de limites. Contempler l'infini, c’est utiliser l'ouverture de l'être qu'est la perception, pour transcender sa finitude, mais non pour affirmer l'existence positive de l'infini, c’est faire corps avec le monde. Si nous reposons notre question initiale: «les Grecs ont-ils contemplé l'infini ? », elle se présente donc d’une manière différente, puisqu'elle passe par une question préalable : quelle conscience les Grecs avaient-ils de leur finitude ? Nous pouvons ici mesurer l'importance du décalage anthropologique qui nous sépare d'eux. La clôture et l’essentialité du sujet, qui conduisent au moi solipsiste dont Descartes n'arrive pas à sortir, n'existent pas pour les Grecs. Ceux qui sont allés le plus loin dans la prise de conscience de soi, les Stoïciens, situent ce que nous considérons comme le sujet, dans la prohairesis, faculté de choisir, ce qui fait du moi stoicien un étre-au-monde, dont la valeur s'établit dans la réaction par laquelle il répond aux sollicitations extérieures. Le sage est celui qui ne tombe pas dans les piéges des erreurs d’appréciation qui nous font intervertir la hiérarchie des valeurs en surinvestissant des choses sans intérét réel. Et la sagesse consiste non pas à devenir une grande âme, ce qui n’aurait pas de sens pour les Grecs, + 28 +