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JEAN-JOEL DUHOT sion contemple quelque chose qui nous éléve, et non pas simplement parce qu’on contemple, de sorte que ce bonheur contemplatif ne saurait s’appliquer a Dieu. C’est parce que l’objet de la contemplation nous fait sortir de nous-mêmes en nous appelant vers le haut, que la contemplation est source de bonheur, de sorte que, puisque Dieu ne saurait s'élever, la contemplation n’a rien à lui apporter. Aristote impute à l'acte seul de contempler, ce qui est en réalité l'effet de l’objet de la contemplation. Le platonisme, dans la perspective du Banquet, qui voit dans la beauté contemplée un point de départ pour la contemplation de la beauté en soi, maintiendra cette logique ascensionnelle, que réaffirme Plotin. Cependant, si les beautés terrestres peuvent nous mener à la contemplation de quelque chose de divin, c’est parce qu’au-delà de la réalité physique concrète de l’objet beau, nous sommes séduits par ce qui fait sa beauté, à savoir l'harmonie de ses proportions, qui est le reflet de la beauté divine. C’est la perfection harmonique, c’est-à-dire l'achèvement absolu — le contraire même de l'infini — qui constitue le fil conducteur de la contemplation. Et, loin d'aboutir à l'infini, cette contemplation, si elle va jusqu’au bout de la conversion, aboutira à l'union à l’Un, pointe absolue du divin, dont la clôture radicale qu’implique le nom, est évidemment incompatible avec l'infini, qui, en soi, est ouverture. La finalité de la contemplation néoplatonicienne est d’être un avec l’Un, et donc dans le pôle le plus opposé possible à l'infini. Comment, avec ces contraintes rationnelles et idéologiques, l'infini a-t-il pu acquérir cette positivité qui reste paradoxale, puisqu'elle ne peut, de toute façon, se dire que sur le mode négatif du non-fini ? Ou, pour décaler un peu la perspective, la rigueur des problématisations antiques ne nous laisse-t-elle aucune marge de manœuvre, auquel cas l’idée de contempler l'infini serait un pur fantasme dépourvu de sens réel ? Peut-on penser l'infini autrement ? Il est un domaine dans lequel le paradoxe de ce concept négatif s'intègre structurellement : la théologie négative. On sait que, contrairement aux précisions théologiques impossibles d’Aristote, les néoplatoniciens avaient compris que toute énonciation sur Dieu était nécessairement inadéquate à son objet, les termes désignant les réalités créées étant nécessairement inadéquats à celui qui les a créés. Si donc on ne peut dire ce que Dieu est, il reste soit à tenir sur lui un discours analogique, soit à dire ce qu’il n’est pas, ce qui est le principe de la théologie négative. Les Grecs, du fait de leur rejet de l'infini, ne sont pas allés jusqu’à l'intégrer à leurs formes de théologie négative. C’est seulement au Moyen-Âge que, par opposition à la finitude humaine, Dieu apparaîtra comme celui qui n’a aucune finitude, symétrie qui n'aurait pas eu de sens dans le neoplatonisme paien, qui n’oppose pas radicalement l’homme au divin, mais essaye de trouver le moyen de remonter jusqu’à l’Un (qui + 24 +