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LES GRECS ONT-ILS CONTEMPLÉ L'INFINI Faut-il en déduire que les Grecs n'ont pas expérimenté cet état légèrement modifié de conscience que nous vivons dans la contemplation ? L'examen des textes laisse entendre que, s’ils n'avaient pas de terme pour désigner ce que nous entendons par là, ils savaient qu’il y a un état totalement différent, au-delà de l'observation. On connaît la distinction platonicienne de l’intellect (noûs) et de l'intelligence discursive (dianoia). Le noûs est un concept clef chez Platon, puisqu'il est commun à l’homme et à Dieu. Plus précisément, Dieu est rnoûs (comme, d’ailleurs, l'était déjà le Dieu d’Anaxagore), ce qu’il sera encore chez Aristote, de sorte qu’il possède la connaissance totale: il est cop@tatoc*®. L'homme ne possède évidemment pas la connaissance absolue, comme l'indique l’allégorie de la Caverne“: l'intelligence humaine ne saisit que des ombres du réel. Toutefois, il peut arriver à l’homme de sortir de la Caverne et de voir directement la réalité, mais il lui est impossible de rien en faire partager à ceux qui sont restés enfermés, dont aucun n’acceptera de le croire. Cela a une implication capitale : la vérité ne peut ni s'expliquer nise démontrer, et ne relève que de la vision, que, dans le Phèdre, Platon rapproche de lépoptie®, vision mystérique qui vient clore l’initiation, par exemple aux Mystères d’Éleusis. L'homme peut donc, de manière exceptionnelle et fragmentaire, accéder à cette intuition du réel — apanage divin — qu'est la vision noétique, ce qui fait du noëûs la faculté la plus élevée de l’homme, faculté qui n’est donnée que très rarement et à bien peu d'hommes. Et le savoir absolu que constitue cette vision du prisonnier sorti de la Caverne, est intraduisible dans la linearite de la démonstration : le vrai se contemple et transcende le raisonnement. La contemplation noétique est donc tout à fait singulière : il ne s’agit pas de s’abîmer dans la contemplation d’un paysage pour s’absorber dans sa beauté, mais d'atteindre un état quasi-divin de conscience qui consiste à voir directement le réel, œuvre divine, dans sa relation avec le divin. Nulle place pour l'infini dans ce divin, bien évidemment. Puisque Dieu est parfait, il ne lui manque rien, et on ne saurait lui prêter aucun inachèvement. Sa plénitude doit être totale, il ne saurait relever d’un processus sans fin. Ce n’est pas la contemplation pour elle-même qui intéresse Platon, il se trouve que le sommet du savoir est pour lui cette intuition intellective, qu’on peut décrire comme une forme de contemplation. Aristote hérite de son maître le caractère noétique du divin, qui fait du nots la partie la plus élevée — et donc la plus divine — de l’homme. Comme celui de 3 Lois X, 902 e. Rappelons que sophia ne désigne pas la sagesse, mais la connaissance. + République VII. 5 énomtevovtec, Phédre 250 c 4. + 21°