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Cette utilisation de l’araire est une indication trés fiable quant au mode de plantation des vignes. Utiliser l’araire suppose que l’on a affaire à des parcelles plantées de façon homogène, en lignes, et non à des plantations en foule ou en joualles, où d’autres cultures viennent prendre place entre les rangs. Or, ce type de plantation permet de limiter les coûts de production puisque l’on peut dès lors labourer à l’araire et non plus bêcher. Cette pratique est à mettre en parallèle avec le jugement de l’intendant, qui estime que la culture des vignes coûte nettement moins en Médoc que dans les Graves, région où la culture reste encore traditionnelle. Lorsque l’on cherche à saisir cette transition, il apparaît que les mutations ne se limitent pas à tel ou tel terroir. Quelle que soit la région, les magistrats se démarquaient de l’ensemble et faisaient partie de ceux qui innovaient, dans le Médoc mais aussi dans les Graves. Ainsi, lorsque Catherine de Mullet‘ règle la succession d'Olive de Lestonnac, elle cède une parcelle qui devient par la suite la Mission Haut-Brion. Le descriptif mentionne alors « 22 journaux de vignes ou environ, tant à bras qu'à l'araire ». Sur ce domaine, la mutation est donc en cours de réalisation, d'autant que la dame mentionne de plus « des plants de vignes nouvellement plantés ». La transition se mesure aussi beaucoup plus tôt, à la métairie de Fontaudin, à Pessac, chez Jean-Olivier Dusault. Le contrat de 1642 précise que le métayer doit donner trois façons pour les vignes à bras et quatre façons pour les vignes à l’araire® ; neuf ans plus tard, en 1652, il nest fait mention que de vignes a l’araire®’. Ce modèle transitionnel se repère en Médoc, chez la famille de Blanc, qui, en 1667, possède à Moulis la métairie de Ruhac, où l’on trouve à la fois des vignes à bras et à l’araire® tandis que sa métairie voisine de la Ferreyre ne compte déjà plus que des vignes à l’araire. Le changement n’est cependant pas enclenché sur tous les domaines parlementaires. En 1674, Isabeau de Lalanne donne ainsi à faisandure des vignes « à la brasse », qui doivent être bêchées, dans sa maison noble des Graves, paroisse de Mérignac”?. Au même endroit et à la même époque, Thibault de Lavie, dans son bourdieu de Mérignac, possède toujours des vignes à bras et à l’araire’!, ce qui montre une transition incomplète. Si l’on porte le regard du côté des vignobles séparant Cadillac de Bordeaux, John Locke nous apprend qu’en 1677, « en beaucoup d’endroits, le vignoble [est] disposé ainsi : deux rangées de ceps et entre les deux trois ou quatre fois leur largeur de terre labourée pour le blé »”? : la persistance des joualles est attestée. La question se pose en des termes différents pour les vignobles de palus, qui, en 1647, n'avaient pas cinquante ans. Ils 6 AD 33, G 996, 26/01/1664, donation. Catherine de Mullet, veuve du conseiller Pierre de Lestonnac, doit régler le legs de 15 000 livres fait par Olive de Lestonnac pour « faire des missions s. Etant dans Vincapacité de payer la somme, elle donne la métairie d’Haut-Brion, paroisse de Talence, qui, par ces circonstances, devient la Mission Haut-Brion. §7 AD 33, 3E 5202, f° 283, 26/10/1642, contrat de métayage. 68 AD 33, 3E 5211, f° 160, 23/10/1651, contrat de métayage. ® AD 33, 3E 1811, 08/01/1676, contrat de métayage. 7 AD 33, 3E 7634, f° 195, 19/10/1674, bail a faisandure. 1 AD 33, 3 E 6600, f° 654, 02/11/1672, contrat d’afferme. 72 François-Georges Pariset, op. cit., p. 89-94. 137