OCR
plus large de consommateurs et soumis parfois á des fraudes. Ces vins répondent aussi sans doute à la demande pour des vins légèrement moins sucrés que les muscats pour des usages, comme nous allons le voir, un peu différents. En 1786, la cave de l’évêque de Limoges, Duplessis d’Argentré, est assez caractéristique en ce domaine des goûts des élites à la veille de la Révolution puisqu'on y trouve de grandes quantités de vins d’Espagne et du vin de Chypre, mais aussi 150 bouteilles de Sauternes, des vins de Rivesaltes et des vins de Bergerac « doux », sans doute de la région de Monbazillac®. Les manières de boire les vins doux confirment qu’il s’agit de vins à part qui s'inscrivent dans le rituel de repas raffinés. Comme pour les autres vins, l'usage qui prévaut pendant longtemps au cours des repas d’apparat est de ne pas disposer les verres et les bouteilles sur les tables, mais de faire appel à des domestiques qui assurent le service des boissons à la demande. Cette pratique qui perdure dans les années 1770 semble parfois gêner les convives comme l'écrivain russe Denis Fonvizine. « On se met à table à neuf heures et demie et l’on y reste plus d’une heure. On sert une table d'environ soixante-dix couverts [...] Chaque convive a un valet debout derrière sa chaise. S’il n’a pas de laquais, ce malheureux invité n’a plus qu'à mourir de faim et de soif. I] ne peut pas en être autrement : selon l’usage du pays, on ne fait pas circuler les plats autour de la table, mais il faut regarder tout ce qui est sur la table et demander par l’intermédiaire d’un laquais ce qui vous aura plu. Devant le couvert, on ne met ni vin ni eau et, si l’on a soif, il faut à chaque fois envoyer son serviteur à l'office. [...] J'ai demandé pourquoi on ne mettait pas de vin ni d’eau devant les couverts. On n'a répondu que c’était par économie : car on a remarqué que si l’on mettait une bouteille sur la table, un seul convive la boirait toute entière et que si on ne l’y mettait pas, une bouteille suffisait pour cinq personnes. 5". La dégustation du vin, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, peut donc difficilement se faire puisqu'il faut vider son verre d’une traite. Le traité de civilité d'Antoine Courtin souligne d’ailleurs la nécessite de s’y conformer : « Cela tient trop de familier de goûter le vin, & de boire son verre à deux ou trois reprises ; il faut le boire d’une haleine & posément »”7. Mais, d’autres témoignages suggèrent que les élites européennes sont de plus en plus réticentes à partager un verre commun comme le montre l’abbé Kitowicz dans sa description de la cour de Pologne. « Ils buvaient l’un après l’autre dans une seule coupe, n'étant pas du tout dégoutés par les gouttes de la boisson qui tombaient dans la coupe des moustaches de chaque buveur. Même les Dames en buvaient sans aucune aversion n’hésitant pas à toucher ce récipient avec leurs lèvres délicates. Mais aussitôt, quand les verres et coupes en verre se sont établis, s’introduit alors le dégoût pour la 5 Archives départementales de la Haute-Vienne, 1 G 238. 5% Denis Fonvizine, Lettres de France (1777-1778), éd. H. Grasse, Paris, 1995, p. 81-85. 7 Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnétes-gens, Paris, 1728, p.178. 94