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LES « NUITS » DE GEORGES DE LA TOUR: MIROIR, VANITE ET CONTEMPLATION DE L'INFINI

élégance et sur la table, ce n’est pas la Bible que l’on peut apercevoir mais un
collier de perles!f. Cette version est davantage une allégorie de la Vanité - elle
est alors plus proche du passé mondain de Madeleine — que la variante au miroir
qui représente plutôt la derniére étape de « l’itinéraire spirituel » de la pénitente:
la vie contemplative et la méditation religieuse”’.

Contrairement à la troisième version du motif — intitulée La Madeleine
pénitente ou La Madeleine à la veilleuse que nous n’analyserons pas ici!$ —, les
deux autres mettent en scène à côté du crâne un miroir, celui-ci semblant même
être un attribut central de la composition. Le miroir a une fonction différente
de celle du crâne, une fonction plus proprement picturale qui renvoie à la
problématique de la perception artistique. Ce n’est pas un hasard si Léonard
de Vinci avait conseillé au peintre de prendre le miroir pour maitre: « Miroir
et peinture présentent les images des choses baignées de lumière et d'ombre.
Lun et l’autre semblent se prolonger considérablement hors du plan de leur
surface”. »

Par le miroir, ainsi que par les reflets et les redoublements, les tableaux de La
Tour soulèvent également la question de l’illusion artistique. En lui-méme, le
miroir n’est autre chose qu’un cadre vide qui attend la présence de quelque chose,
un «regard aveugle» qui ne montre que ce quil refléte. Cependant, lorsqu’il
reflète les choses, le miroir les redouble aussi en même temps: il renvoie ainsi à
la question de l'illusion visuelle. Les choses qui apparaissent dans le miroir
donnent l'impression que les objets réels sont obscurs et irréels, et que leur reflet
— qui apparaît dans le miroir comme la flamme de la bougie — est bien réel. En
ce sens, le miroir est un instrument magique: opérant la métamorphose du
visible, il supprime la réalité matérielle des choses, en les transformant en
spectacles et, inversement, en changeant les images reflétées en choses”. Il
produit alors des redoublements irréels qui trompent la vue parce qu’ils engendrent
des perceptions sans objet. Aussi restructure-t-il l’image : il montre le « revers »
des choses, leur «autre face ». Comme «l’image dans l’image », le « miroir dans

1 Pierre Rosenberg — Marina Mojana, Georges de La Tour. Catalogue complet des peintures. Paris,
Bordas, 1992, p. 68.

17 Geneviève Rodis Lewis, «Les Madeleine de Georges de La Tour ». In Regards sur l'art. Paris,
Beauchesne, Bibliothèque des Archives de Philosophie, 1993, p. 69-84.

18 V. La Madeleine pénitente ou La Madeleine à la veilleuse (ou La Madeleine Terff), Paris, Louvre,
1638-1640.

1% Leonard de Vinci, Carnets. Tome II. Traduit de l’anglais et de l’italien par Louise Servicen. Paris,
Gallimard Tel, 1942, p. 252.

20 Maurice Merleau-Ponty, L'Œil et l'Esprit. Paris, Folio Plus, 2006, p. 25.

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